Mimma Viglezio : pourquoi la prochaine génération doit se rebeller

14 mai 2017

Mimma Viglezio est connue pour son franc-parler : elle déteste qu’on prenne les gens pour des c… Et avec plus de deux décennies d’expérience dans le monde du luxe, elle sait de quoi elle parle – après avoir notamment occupé les fonctions de Directrice de la communication chez Louis Vuitton et de Vice-présidente exécutive de la communication internationale pour le Groupe Gucci. Aujourd’hui, de nombreux jeunes créateurs se tournent vers elle pour profiter de ses conseils et nous avons voulu la rencontrer pour lui demander ce qui fait le succès d’une marque de luxe aujourd’hui.

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Avant de commencer, mettons les choses au clair : Mimma déteste le mot luxe.

D’ailleurs, quand on lui demande de définir le luxe aujourd’hui, elle a un frisson de dégoût : « Pour moi, le mot luxe a perdu tout son sens à force d’être sur-utilisé, explique-t-elle. C’est très gênant, les gens parlent du luxe comme du but ultime à atteindre. Mais le luxe n’est pas une chose qu’on choisit, comme la classe : vous l’avez… ou pas. Bien sûr, il y a certaines choses à faire pour être une marque plus luxueuse, mais ces jours-ci il y a beaucoup trop de faux sur le marché. Cela dit, les choses changent et les gens font plus d’efforts, peut-être que le vrai luxe va bientôt retrouver ses lettres de noblesse. »

Laissons donc tomber le mot luxe un instant, que doit faire une marque aujourd’hui pour rencontrer le succès ? « Déjà, ne dites pas que vous voulez créer une marque de luxe, répète-t-elle. Une idée peut évoluer dans plein de directions : vous devez être flexible et vous adapter. Vous ne pouvez pas vous réveiller un jour et dire : “Je veux être le prochain Louis Vuitton. ” Ce n’est pas comme ça que Louis Vuitton a commencé. »

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« Je pense que l’honnêteté et l’originalité sont les clés du succès. Être honnête, c’est se tenir à son idée. Faites ce que vous savez faire ; pour le reste, demandez conseil. Et n’essayez pas de tromper le public, votre produit doit être parfait. S’il ne l’est pas ou si le prix n’est pas juste, les clients ne vous feront pas de cadeau. Enfin, si vous voulez vraiment opter pour le luxe, vous devez laisser une place à la durabilité. Vous ne pouvez pas prétendre au luxe en 2017 si vous ne pensez pas à la planète et ses habitants. »

Pour Mimma, c’est la jeune génération qui lance ce mouvement durable. « Je leur dis merci. Les jeunes sont en train de changer le monde grâce à leur exigence et les marques de luxe se réveillent enfin. »

Ce qui est clair pour elle, c’est que les jeunes créateurs ne doivent pas attendre que les choses changent, mais lancer le mouvement. « Les marques n’embauchent plus, ou si elles le font c’est en stage non rémunéré, après cinq tours d’entretiens. Tout ça crée un mouvement de rébellion chez les plus jeunes qui disent : allez-vous faire voir, je vais lancer ma propre marque. Je pense que c’est à cause de ça que des marques comme Airbnb, Twitter ou Uber ont vu le jour – et j’en suis ravie, parce que ce sont des idées géniales. »

Mais les jeunes créateurs ne devraient pas se limiter à l’industrie de la mode pour trouver l’inspiration. Les collaborations avec des marques éloignées de cet univers joueront un rôle crucial dans la réussite des nouvelles marques. « Quand on pense que la plus grande entreprise de taxis du monde [Uber] ne possède pas de taxi ou n’emploie aucun chauffeur. Ça ne serait jamais arrivé si son fondateur avait demandé les conseils d’un expert du domaine. Ils se sont battus contre toutes les réglementations pour lancer leur modèle. Ils ont su aller plus loin. Ou prenez l’exemple de Farfetch : s’ils avaient embauchés plus d’experts de la mode et moins d’analystes de données ou d’ingénieurs, ils n’en seraient pas là aujourd’hui. La collaboration est essentielle. »

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Quand on lui parle des talents plus traditionnels, comme le dessin, Mimma est sceptique. « Je ne crois pas que ça compte tant que ça. Mais je pense que les écoles de création ont le devoir d’enseigner tous les aspects de l’industrie. Si leurs élèves ignorent tout des processus de fabrication, de la tarification ou des aspects administratifs, ils devront être très chanceux ou demander de l’aide. Mon conseil ? Passez au moins un an à comprendre le fonctionnement d’autres marques et apprendre les dessous du métier. »

Mimma conseille de s’associer à une personne qui saura gérer le côté business de l’entreprise, si vous êtes du genre créatif, et vice versa. « Prenez Vetements par exemple, explique-t-elle. Ou Christopher Bailey et Andrea Ahrendts. » Pas besoin d’être un expert de l’industrie pour autant : quand Hannah Weiland de la marque Shrimps a lancé sa marque, elle s’est associée à son père qui connaissait le monde des affaires. « Maintenant que ça marche pour elle, elle cherche un expert de l’industrie pour passer à la vitesse supérieure », ajoute-t-elle.

Quand les jeunes créateurs se lancent avec leur marque, ils ont tendance à répéter les mêmes erreurs, comme de ne pas avoir une idée assez solide ou ne pas avoir un plan adapté pour lui donner vie. Mais ce que Mimma trouve vraiment frustrant, c’est l’arrogance. « Si vous ne pouvez pas entendre les critiques, vous ne réussirez jamais. Il faut écouter. Les gens qui réussissent sont ceux qui ont conscience de leurs atouts et de leurs limites. Un chef d’orchestre ne joue pas forcément du violon, mais il sait quel son un violon doit produire. Si vous n’êtes pas prêt à lâcher prise et demander conseil autour de vous, vous ne réussirez jamais », nous dit-elle.

Un autre défi qui attend les jeunes créateurs, c’est de se faire remarquer par les rédacteurs en chef, les acheteurs et les principaux acteurs du marché. Mimma l’admet, il n’existe pas de remède miracle. « Je ne sais pas vraiment quoi vous dire. Je pense que les sommes et le temps consacrés à un défilé de mode sont assez scandaleux. Les marques les plus riches payent pour faire venir des centaines de journalistes et d’acheteurs à leurs défilés – en classe affaires, et je trouve ça injuste pour deux raisons : déjà, tout le monde n’a pas les moyens de faire la même chose. Et puis, si on vous paye pour venir voir un défilé, est-ce que vous oserez dire que c’était pourri ?! »

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Mais l’un des seuls avantages à tout ça, c’est qu’on se lasse de tout et que les gens commencent à s’ennuyer. Mimma nous fait remarquer que les rédacs chefs des plus grands magazines savent qu’ils doivent mettre en avant de nouveaux créateurs, même s’ils ne peuvent pas payer pour la publicité. Pour elle, c’est à la jeune génération de changer le système : « C’est à vous d’inventer un nouveau modèle. Allez-y. N’essayez pas de lutter contre des marques comme Gucci, vous n’aurez jamais les mêmes moyens de faire comme eux. »

Et quelles sont les nouvelles marques qui attirent l’attention de Mimma ces jours-ci ? « J’aime toutes les marques à la Bruta ou Shrimps. Je crois au mono-produit et je pense qu’il fait un grand retour. Je me souviens d’une conférence que j’ai donnée dans les années 90, je me plaignais qu’il n’y avait plus de spécialistes dans la mode, à part Rolex. Toutes les marques proposaient plusieurs catégories de produits. Aujourd’hui, c’est l’inverse : le mono-produit fait son retour parce que les gens prennent conscience du coût de l’alternative, avec tous les brevets nécessaires, etc. »

« Mon conseil pour les jeunes marques qui veulent réussir sur le marché du luxe ? Continuez ce que vous faites jusqu’à atteindre la perfection. On commencera alors à vous copier et vos produits prendront encore plus de valeur. Ne faites rien d’autre avant d’avoir atteint la perfection. Au Royaume-Uni, j’admire le courage de Molly Goddard qui fait ce qui lui plaît – son modèle de robe n’est pas des plus faciles, mais c’est ce qu’elle est, et elle travaille à sa façon. Elle est entourée de sa mère, son copain et son père, et elle avance pas à pas. Tout en restant fidèle à ses valeurs. Et ça marche. »