Les conseils d’Atip Wananuruks aux jeunes designers
11 Sep 2018
Début 2018, HighSnobiety a levé près de 9,5 millions d’euros. Ce blog devenu média offre une opportunité en or aux marques : il s’adresse aux hommes millennials, une audience pourtant difficile à cibler. Sur son site, on trouve désormais le meilleur du rap, du street art ou des sneakers, sous la forme de vidéos percutantes et d’articles sans concession. Atip Wananuruks nous explique comment il a tracé sa voie jusqu’à devenir directeur de la mode pour cette bible digitale du streetwear.
D’où est né votre intérêt pour la mode ?
Ma famille a quitté la Thaïlande lorsque j’avais quatre ans, et nous sommes arrivés avec très peu d’argent au Royaume-Uni. On faisait les braderies pour s’habiller et j’ai découvert mes goûts en chinant. Je passais aussi beaucoup de temps à LA ou à Chicago pour voir ma famille. Aux États-Unis, le retail m’a impressionné : la taille des boutiques et la sélection de produits disponibles me semblaient irréels. La première paire de “sneakers” que j’ai tenue dans mes mains, c’était de simples Nike plimsolls. J’ai commencé tôt !
Avez-vous toujours rêvé d’une carrière dans la mode ?
Je voulais devenir architecte mais je n’étais pas assez bon en maths ou en physique. J’ai fait une école d’art, étudié le graphisme et la typographie, mais je n’étais pas créatif. J’ai décidé de laisser ma place à quelqu’un qui l’apprécierait plus que moi.
Quel était votre premier job ? Que vous a-t-il appris ?
J’ai décroché un job d’été chez Harrods pour la marque Kurt Geiger, et c’est de là que vient mon amour pour les chaussures. J’y ai travaillé à temps plein pendant deux ans. À 21 ans, j’ai été débauché pour ouvrir la boutique Camper à Covent Garden, leur première boutique hors d’Espagne. Lorsqu’on travaille dans le retail, on comprend en détail pourquoi les gens veulent acheter des choses.
Comment avez-vous rejoint HighSnobiety ?
J’ai commencé en freelance comme contributeur, grâce à l’un de mes amis. Je suis parti de là et j’ai gravi les échelons sans m’arrêter.
À quoi ressemble votre journée type ?
Je viens d’avoir un bébé donc je suis debout dès 6h et ma journée ne se termine pas avant minuit. Nous sommes une entreprise internationale et Internet ne dort jamais. Au quotidien, je travaille en étroite collaboration avec le directeur de la création et le responsable de la production et je développe des partenariats au Royaume-Uni, à Berlin, etc. Et je continue à faire ce que j’aime le plus : créer du contenu éditorial.
Quelles sont les qualités nécessaires pour réussir dans le secteur de la mode ?
Travailler dur, être honnête et intègre et ne pas compter ses heures. Mon conseil serait de toujours continuer à apprendre et à évoluer, de bien se connaître et de savoir ce que l’on veut accomplir. Et de ne pas avoir peur de demander de l’aide, de se souvenir qu’on n’avance jamais seul.
Comment a évolué le magazine ?
Au départ, c’était juste un prolongement du site mais c’est le seul espace où nous pouvons créer sans devoir répondre aux attentes des annonceurs. En grandissant, on aimerait voir le magazine suivre son propre chemin. Dans le futur, on veut se concentrer sur la vidéo, qui suscite plus d’engagement que la photo auprès de la nouvelle génération. Je ne crois pas que le papier disparaîtra, mais qu’il devra être intemporel, se collectionner, être un objet de référence. Notre CEO a lancé HighSnobiety dans sa chambre il y a 14 ans et dès le départ, il était question de mettre en avant des produits et de raconter leurs histoires.
Que représente le streetwear aujourd’hui ? Peut-il devenir la victime de son propre succès ?
Ça reste une possibilité. On vient d’écrire un article dans lequel on se demande si le phénomène du streetwear va s’essouffler. Les jeunes ne veulent pas porter leurs vêtements de la même manière que ceux qui ont défini ce style il y a quelques années, donc il est toujours possible qu’un autre Alexander McQueen vienne secouer le monde de la mode.
Si une marque veut apparaître sur HighSnobiety, comment peut-elle retenir votre attention ?
S’assurer de proposer un produit de haute qualité, avec un côté unique. Même si plus rien n’est original, il faut chercher à transformer l’essai plutôt que de se contenter d’un succès éphémère.
Selon vous, de quelles compétences les jeunes designers ont-il besoin pour réussir aujourd’hui ?
Tout acheteur digne de ce nom s’intéressera d’abord au produit, puis à son histoire. C’est l’essentiel.
Créer sa marque de vêtements coûte cher. Quels sont vos conseils pour se lancer ?
Faites tout votre possible pour promouvoir le produit que vous avez créé. Une fois que vous avez gagné de la visibilité et de la trésorerie, c’est le moment de réinvestir. Ce n’est pas une bonne idée de prendre trop de risques financiers.
Et-il important d’avoir un mentor ?
Mon acheteur, Chris Mackintosh, m’a pris sous son aile et m’a tout appris sur le monde du retail. Maintenant, je reçois souvent des messages d’amateurs qui me demandent mon avis sur les réseaux sociaux. C’est un bon début.
A-t-on besoin de plus de collaboration dans le secteur ?
Absolument. Collaborez avec des personnes qui partagent votre point de vue, qui vous aideront à entraîner votre marque, et ceux qui vous entourent, vers le haut. Les créatifs travaillent mieux lorsqu’ils travaillent ensemble.
A quoi ressemble le futur de la mode ?
Difficile à dire ; j’ai vu tant de changements en 25 ans. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont les gens envisagent d’utiliser la tech pour travailler le tissu, comme les chaussures Futurecraft d’Adidas ou la modélisation en 3D. Un jour, on pourra peut être créer nos propres vêtements. Il faut juste garder l’esprit ouvert - comme je l’ai fait.
Traduit par Clémence Gruel